Analyse du plan-séquence d’ouverture – La Soif du mal (Orson Welles, 1958)
📖 Résumé du film
Dans une petite ville frontalière entre les États-Unis et le Mexique, une voiture explose peu après avoir traversé la frontière. L’enquête oppose deux figures : Hank Quinlan (Orson Welles), flic américain corrompu, et Miguel Vargas (Charlton Heston), procureur mexicain intègre.
Sur fond de tensions raciales, de corruption policière et de suspicion, Vargas se lance dans une quête de vérité qui mettra à nu un système pourri de l’intérieur.
🎬 Contexte de la scène
Le film s’ouvre sur une scène nocturne dans une ville frontière grouillante d’activité. Une bombe artisanale est posée dans le coffre d’une voiture. Ce véhicule démarre… et la caméra le suit sans interruption pendant près de 3 minutes 20 dans un plan-séquence virtuose, jusqu’à ce qu’il explose.
Cette scène, tournée à Venice (Californie), place immédiatement le spectateur dans un suspense hitchcockien tout en installant le décor, les personnages et le ton du film — en un seul mouvement de caméra.
🎥 Analyse du plan-séquence
⏱️ Durée
Environ 3 min 20, sans aucune coupe apparente.
📸 Mouvements de caméra
Grue + travelling latéral et avant pour suivre la voiture depuis la pose de la bombe.
La caméra s’élève au-dessus de la rue, survole la foule, redescend au niveau du sol, accompagne la voiture, puis suit Vargas et Susan en parallèle.
Elle alterne subtilement entre le point de vue de la voiture piégée et une vue omnisciente.
🔊 Bande sonore
Aucun score symphonique ici : Welles opte pour un mixage sonore ultra moderne pour l’époque — chaque façade de bar ou boutique diffuse une musique différente.
Ce collage sonore crée une ambiance réaliste et chaotique, immergeant le spectateur dans la ville vivante.
😬 Suspense et dramaturgie
Le spectateur sait que la voiture est piégée → suspense hitchcockien classique (« la bombe sous la table »).
À chaque arrêt du véhicule, on retient son souffle…
L’explosion n’arrive qu’une fois la voiture a passé la frontière, au moment exact où Vargas embrasse Susan, créant un contraste ironique et cruel.
Un plan-séquence est une prise unique, sans coupe apparente, qui peut durer de quelques secondes à plusieurs minutes, voire tout un film (comme dans Russian Ark ou 1917, avec des raccords invisibles).
Contrairement au montage classique, toute l’action est montrée en continu, la caméra se déplace et la mise en scène se déroule comme au théâtre, en temps réel.
🧠 Pourquoi cette scène est culte
Elle ouvre le film avec une intensité immédiate sans aucune exposition verbale.
Elle est techniquement révolutionnaire pour 1958 (prise de nuit, plan long complexe, coordination millimétrée entre grue, figurants et véhicules).
Elle est souvent citée comme un modèle de narration visuelle pure.
Elle a influencé d’innombrables cinéastes (De Palma, Scorsese, Spielberg…), chacun reprenant à sa manière l’idée du plan-séquence immersif.
📌 À noter
La version originale avait été charcutée par Universal. Des décennies plus tard, une version restaurée suivant les notes de Welles a permis de redonner à ce plan toute sa force inaugurale, débarrassée d’un générique envahissant qu’on lui avait ajouté à l’époque.