Qui est Edward Porembny ?
Edward Porembny est un réalisateur, scénariste et producteur d’origine polonaise, installé entre Paris et Londres. Il s’est fait connaître dans le documentaire international en signant des films pour BBC, ARTE, Canal+, National Geographic ou encore Al Jazeera.
Son travail se distingue par deux obsessions :
- l’histoire oubliée,
- l’accès aux archives, même quand il faut aller les chercher au bout du monde ou au fond d’un grenier.
Avant Vie et morts de Max Linder, il a déjà réalisé plusieurs documentaires historiques et sociétaux, souvent construits comme des enquêtes. Porembny aime brouiller les frontières entre récit et investigation, avec un goût assumé pour l’expérimentation visuelle.
Avec Vie et morts de Max Linder (2024), il franchit un cap : il combine archives restaurées + tournage contemporain + intelligence artificielle pour créer un documentaire hybride. Son objectif : faire ressentir le passé, pas simplement le commenter.
On peut résumer son credo ainsi :
« Les images ne sont pas là pour illustrer l’Histoire, mais pour nous y ramener. »
Genèse du film / Making-of
À l’origine, Edward Porembny ne voulait pas tourner un simple documentaire biographique sur Max Linder. Son idée était plus… culottée : faire croire que nous redécouvrons un film tourné dans les années 1910–1920, retrouvé par hasard dans une boîte au fond d’un grenier. Pas de voix off professorale, pas de succession de talking heads (intervenant) — mais une plongée immersive dans l’esthétique du muet.
Pour atteindre cette ambition, la production a duré huit ans. Oui, huit. Le temps de localiser, restaurer et exploiter des archives parfois incomplètes ou détériorées, disséminées entre la France, la Russie, les États-Unis ou encore l’Argentine. Porembny a eu accès au fonds privé de Maud Linder, la fille de Max, qui avait consacré sa vie à la mémoire de son père. Ces matériaux (bobines, photos, lettres, journaux) ont servi de base à l’enquête.
Mais là où le projet bascule dans quelque chose d’unique, c’est dans son usage assumé de l’intelligence artificielle et des réseaux neuronaux. Certaines images sont authentiques, d’autres sont des reconstitutions tournées en studio, que l’IA vient ensuite “vieillir”, texturer, ralentir, abîmer… pour leur donner l’apparence d’un film muet : cadence de projection altérée, grain instable, brûlures de pellicule, vignettage. Résultat : il devient volontairement difficile de distinguer ce qui provient des archives et ce qui a été créé.
Le tournage a lui aussi été pensé comme un plaisir d’archéologue :
- cadrages fixes, peu de mouvements,
- jeu sur-joué façon burlesque,
- silence sur le plateau comme à l’époque du muet,
- travail de post-production pour “dégrader” l’image.
Le documentaire se construit alors comme un film-enquête, où l’on suit la trajectoire de Max Linder : gloire internationale, jalousies, blessures psychologiques, et chute tragique. Son destin devient un récit quasi romanesque.
Edward Porembny résume l’intention avec une phrase qui éclaire toute la démarche :
« L’IA n’est pas là pour déformer la réalité, mais pour nous permettre de la revoir. Comme si nous y étions. »
Une manière de ressusciter Max Linder, et de poser une question vertigineuse :
➡️ Peut-on redonner vie au passé… avec les outils du futur ?
Style visuel & esthétique
Le documentaire adopte une démarche visuelle étonnante : imiter le langage du cinéma muet avec des outils ultramodernes. Edward Porembny ne cherche pas seulement à raconter Max Linder, il veut filmer comme Max Linder — ou du moins, comme quelqu’un aurait pu le filmer à l’époque.
Visuellement, trois axes dominent :
1) L’illusion de la pellicule retrouvée
On y voit :
- grain argentique irrégulier,
- poussières numériques,
- saut de photogrammes,
- variations de cadence (effet 16–18 fps).
La pellicule vit, tremble, respire. On a parfois l’impression que la bobine pourrait se déchirer sous nos yeux.
2) Archives + reconstitutions + IA : tout se mélange
Le film alterne :
- vraies images restaurées de Max Linder,
- séquences tournées aujourd’hui avec des acteurs,
- images retouchées ou partiellement générées par IA pour créer des transitions ou combler des morceaux perdus.
Le spectateur n’est jamais totalement certain de ce qu’il regarde — et c’est voulu. Le film floute la frontière entre mémoire et recréation.
3) Une mise en scène à la manière des pionniers du burlesque
Les mouvements de caméra sont limités, les cadrages frontaux, presque “théâtraux”. On retrouve :
- la gestuelle exagérée,
- la composition symétrique,
- un sens du gag visuel discret mais omniprésent.
Comme si la caméra était un spectateur assis au premier rang en 1912.
La bande-son, quant à elle, joue un rôle clé : elle reste moderne, mais colle à l’émotion — un pont entre deux époques.
Ce mélange improbable crée un objet visuel hybride :
- ni vraiment documentaire,
- ni vraiment fiction,
- mais une expérience de cinéma où le passé revient à la vie.
Résultat : on ne regarde pas des images d’archives. On a l’impression d’assister au tournage de l’Histoire.
🎞️ Bande-annonce du film
Réception critique
La sortie du film a déclenché un véritable débat. Pas sur Max Linder — tout le monde s’accorde à dire qu’il est l’un des pères du burlesque — mais sur la façon dont son histoire est racontée.
Les retours critiques se répartissent en deux camps :
✅ Ceux qui saluent l’audace :
- Certains critiques voit dans le film une façon brillante de faire revivre le muet en utilisant des outils du XXIᵉ siècle.
- L’usage de l’intelligence artificielle est perçu comme un moyen de se rapprocher d’une vérité émotionnelle : recréer ce que nous n’aurions jamais pu filmer.
Pour eux, l’IA devient un outil de restauration animé par une intention noble :
« L’IA ne falsifie pas le passé, elle le réactive. »
⚠️ Et ceux qui s’inquiètent :
D’autres reprochent au film de brouiller les frontières entre images d’archives et images recréées.
La question sous-jacente : Comment croire à un documentaire si l’on ne sait plus ce qui est authentique ?
Certains critiques regrettent l’absence d’indicateurs clairs permettant de distinguer le vrai du faux. Pour eux, le procédé manque de transparence.
Débat autour de l’IA
🎭 Le vrai débat n’est pas Max Linder.
C’est le rôle de l’IA dans les films documentaires.
L’œuvre soulève une question passionnante (et pas uniquement pour les cinéphiles) :
Peut-on recréer une image du passé sans trahir la vérité historique ?
Dans le cas de Vie et morts de Max Linder :
- l’IA n’invente pas des faits,
- elle comble les vides, elle reconstitue des fragments, elle met en scène ce qui a existé.
Mais le film accepte que cette démarche puisse troubler.
💡 Le saviez-vous ?
Conclusion
Max Linder n’est pas seulement un nom à réhabiliter : c’est un pan entier de l’histoire du cinéma que l’on redécouvre. Avec ce film, Edward Porembny ne se contente pas de raconter une vie — il ressuscite une présence. Grâce à un mélange audacieux d’archives, de reconstitutions et d’intelligence artificielle, Vie et morts de Max Linder offre une expérience rare : avoir la sensation d’être au bord du plateau, dans les années 1910, tandis qu’un pionnier du burlesque invente le langage de l’écran.
Le documentaire interroge autant qu’il émerveille. Est-ce encore du documentaire quand l’image est reconstruite ? L’IA est-elle un outil de mémoire… ou une trahison du réel ? Aucune réponse définitive — et c’est justement ce qui lui donne sa force.
Max Linder, trop longtemps relégué au pied des statues de Chaplin, retrouve ici sa place : celle d’un inventeur. Un acteur qui a marqué son époque, et un film qui nous oblige à regarder le passé avec des yeux neufs.
Info
Le film Vie et morts de Max Linder de Edward Porembny est actuellement diffusé sur CINE+classic.